Dans le Nouvel Obs n° 2427 du 12 au 18 mai 2011, sous la plume toujours élégante de Marcelle Padovani, on peut lire une très intéressante critique cinématographique du dernier film de Nanni Moretti, Habemus Papam, dans lequel il joue le rôle d’un psychanalyste appelé au chevet d’un pape dépressif, magistralement incarné par Michel Piccoli car « les papes aussi ont des états d’âme, dépriment et s’angoissent comme de vulgaires quidams ».
Mon propos n’est pourtant pas, vous vous en doutez bien, d’ordre artistique. Ce qui me pousse à rédiger ce billet ce sont les réactions que le film a suscitées au sein de la Sainte Église Catholique, Apostolique et Romaine, toujours en retard d’une guerre comme nous allons le voir. Car, comme le note Padovani, « c’est enfin le premier film sur un pape, dont Dieu est totalement absent. Et c’est ce qui a le plus blessé les catholiques. »
On apprend donc, à la lecture de son article, que « L’Osservatore romano », qui est un peu au Vatican ce que la « Pravda » était au pouvoir soviétique », explicite, dans son édition du 27 avril, le « péché capital » (si j’ose dire) du film : « Il n’a pas le courage de trancher sur ce dilemme fondamental : les concepts d’âme et d’inconscient ne peuvent coexister. »
Mazette ! La psychanalyse, jadis bannie de l’URSS pour cause de non-matérialisme dialectique, essuierait-elle aussi les foudres de l’excommunication vaticane ? Pravda et Osservatore, même combat ? Un bon chrétien, pas plus qu’un brave soviétique d’antan, ne peut donc avoir recours à la psychanalyse sans se voir voué aux Enfers ou au Goulag? Ce genre de nouvelle alliance (sans jeu de mots…) entre « le sabre et le goupillon » est de nature, à première vue, à corroborer les prétentions « subversives » de la psychanalyse qui s’accommoderait mal de tout pouvoir autoritariste (ce qui est, soit dit en passant, historiquement faux[1]) et à prouver qu’elle est profondément (ça va de soi…) libératrice. Avoir à la fois Staline et saint Pierre pour ennemis vous confère un pouvoir de victime forcément sympathique et ne peut que susciter la bienveillance et l’adhésion.
Mais il faut être vraiment très étroit (XIII et III…) de vue pour ne pas s’apercevoir que, certes, l’inconscient, la psyché, le mental, etc. ne sont que des versions laïques de l’âme ; mais justement cela, loin de les opposer, les range dans une même communauté de concepts, que le matérialiste moniste rejette en bloc. « Trancher sur ce dilemme fondamental » ? La belle affaire ! Nous nageons entre deux conceptions dualistes, aussi dépassées l’une que l’autre.
Mais, pour cela, il faut être déjà convaincu que la psychanalyse n’est qu’une pseudo-science, une proto-psychologie complètement dépassée, une « affabulation » (pour reprendre le terme de Michel Onfray). Ce qui, hélas, n’est pas encore toujours le cas. Une preuve parmi tant d’autres ? La réaction à ces propos de « L’Osservatore » du psychiatre Giancomo Tabet (toujours citée par Padovani), qui se plaint que, en plein XXIème siècle, l’église « refuse encore d’admettre la psychanalyse comme science en mettant un veto à l’existence de l’inconscient ». Voilà donc la hiérarchie catholique coupable de ne pas croire (ce qui, avouez-le, est un comble pour des hommes de foi) que la psychanalyse est une science. En réalité, ces hommes de foi ont tous, de leur point de vue, raison car chacun d'eux a son dieu : Freud, Marx ou Jésus. Ainsi, la foi chrétienne n'admet pas la foi dans la psychanalyse (une « religion séculaire », comme le souligne à juste titre Onfray) ; le freudisme n'admet pas la foi religieuse et le marxisme-léninisme, exécré par les deux, les renvoie à son tour dos à dos. C'est, en somme, un combat de foi contre foi, de croyance contre croyance, d’intolérance contre intolérance qui n’a, bien évidemment, strictement rien à voir avec la science.
Nous autres, rationalistes et sceptiques, aurions tort de nous réjouir de ce rejet de la psychanalyse de la part de l’Église (comme du fait qu’elle condamne aussi les horoscopes…si, si !). Car ce n’est point le fait d’une longueur d’avance mais, comme je le disais au début, d’un train de retard[2]. Elle n’est pas « de retour » du concept d’inconscient : elle n’y est même pas arrivée !
Pourtant, comme le souligne Padovani : « Dans “Habemus papam”, la psychanalyse, qui se révèle incapable de sortir le souverain pontife de l’impasse, ne s’en tire pas mieux que la foi. » Confessionnal ou divan, dilemme navrant ?
[1] Voir ce que dit, par exemple, Michel Onfray dans Le crépuscule d’une idole : l’affabulation freudienne, Grasset 2010, des démarches entreprises par Freud pour que la psychanalyse puisse continuer à prospérer sous le régime nazi ; ou, encore, Samuel Lezé dans L’autorité des psychanalystes, PUF 2010, pages 84 et suivantes, à propos de l’affaire dite de Rio autour de la publication du livre de la psychanalyste et médecin brésilienne Helena Bessarman Viana, Politique de la psychanalyse face à la dictature et à la torture : n’en parlez à personne, L’Harmattan 1966, où elle dénonce un psychanalyste comme tortionnaire pendant la dictature militaire au Brésil.
[2] Et je suis gentil en ne parlant que d’un train. Le Vatican n’a réhabilité (partiellement et du bout des lèvres) Galilée que très récemment ! Mais il est vrai qu’il vaut mieux tard que jamais. Car, par comparaison, on attend toujours une « repentance » du pays qui, avec l’affaire Lyssenko, a affamé, des années durant, des millions de citoyens…