Prescrire est une revue excellente. Elle s’est distinguée par son objectivité, son impartialité et son indépendance dans un grand nombre de débats (et de scandales) récents liées aux médicaments et, en général, à des questions de santé publique. L’affaire tristement célèbre du Médiateur en constitue un bon exemple.
Dans un monde dominé par l’appât du gain à tout prix (y compris celui de notre santé), contaminé par des conflits d’intérêt constants chez les experts et les décideurs de tout bord, rongé par la corruption (active et passive) à tous les niveaux, une telle revue représente un îlot de résistance, une source d’information fiable, un éclairage indispensable, bref : une véritable entreprise de salubrité publique qu’il faut préserver et défendre à tout prix.
À force de sérieux, d’objectivité, d’impartialité et d’indépendance (oui, je sais, je me répète…), elle s’est construit une solide réputation, a su gagner le respect de tous et est devenue une authentique référence en la matière.
Ce statut, très amplement mérité, confère, en contrepartie, une lourde responsabilité : celle de ne jamais faillir, de ne commettre le moindre faux pas. Où, si cela venait, par malheur, à se produire (« l’erreur est humaine ; s’entêter est diabolique » disaient déjà les Romains), l’obligation de rendre public un démenti, un rectificatif, une mise au point, voire de battre un sincère mea culpa. Faute de quoi, elle perdrait ce statut privilégié.
Et, comme souvent, c’est dans le domaine « psy » que le faux pas s’est produit. C’est un terrain tellement empreint encore (hélas) d’idéologie -là où la rigueur, l’objectivité, devraient être tout autant de mise que dans les autres domaines du savoir-, que même les honnêtes gens peuvent être victimes, à leur insu (oserai-je dire : « inconsciemment » ?), de préjugés ancestraux qui, justement à cause de leur longue tradition, ne sont plus identifiés comme tels et sont véhiculés par la culture ambiante comme des certitudes intouchables, comme des acquis non questionnables. Ce qui, avouons-le, est plus qu’inattendu d’une revue dont la phrase mise constamment en exergue est : « Le danger, ce n'est pas ce qu'on ignore ; c'est ce que l'on tient pour certain et qui ne l'est pas ».
Je suis en train de parler de la position que la revue Prescrire a prise, dans son n° d’avril 2013, à propos du guide contenant les recommandations de la HAS à propos de l’autisme. La voici in extenso. Et en voici le coeur : « Ce guide privilégie les méthodes cognitivo-comportementales, et écarte les autres approches sans argument solide. Ce choix exclusif est non ou mal étayé. »
Aussitôt publié, cet article fut repris en boucle (voir, par exemple, l'usage qu'en fait le "Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, ou encore l'article d'Eric Favereau dans Libé) comme argument d’autorité (en vertu de ce statut particulier auquel la revue est parvenue) par tous les opposants aux recommandations de la HAS (et du 3èmeplan autisme qui en a découlé), en clair, pour ne pas les nommer, les pédo-psychiatres de la mouvance psychanalytique, encore largement dominante (quoi qu’ils s’en défendent) dans notre France du XXIème siècle. Le positionnement de Prescrire leur sert de caution inattaquable, d’argument massue, d’onction divine.
Or, pour une fois, la revue a (même de bonne foi) failli.
Dans ce contexte, Frank Ramus, Directeur de Recherche au CNRS, s’est senti obligé de leur envoyer une première lettre. Puis, pas satisfait de la réponse qu’il avait reçue, il persiste avec une nouvelle lettre, à mon sens tellement contondante, que les gens de la revue, de bonne foi comme je les considère, doivent se trouver drôlement embarrassés. À tel point qu’à ce jour, ils n’y ont point répondu (ce qui est une forme de réponse, voire d’aveu). Je ne manquerai pas de vous faire connaître la suite de cette affaire, si suite il y a.
Car, comment va désormais se positionner la revue Prescrire ? Va-t-elle continuer à largement ignorer la psychiatrie ? Va-t-elle être complice des mandarins en poste et les aider (ne serait-ce que par le silence) à perpétuer leurs idées, leurs pratiques et leur pouvoir, en dépit de toutes les données qui s’accumulent au niveau international ? Au risque de perdre progressivement toute crédibilité ? Ou bien va-t-elle se positionner à l’avant-garde du renouveau de la psychiatrie française, en tournant définitivement la page des approches non scientifiques et non évaluées, en devenant le moteur national de l’exigence de preuves en psychiatrie comme dans les autres spécialités. L’article sur l’autisme a donné un mauvais signal. Si la revue souhaite rectifier le tir, outre la publication d’un rectificatif, je ne saurais trop lui conseiller de s’entourer de quelques psychiatres fiables qui sauront la guider dans cette voie, semée d’embûches, mais indispensable.
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Suite à des nombreux courriels envoyés à la revue, elle a réagi plutôt favorablement. Voici la réponse à l'un de ces courriels:
Paris, le 8 juillet 2013
Bonjour monsieur,
La Rédaction de Prescrire a bien reçu votre courriel du 09 juin 2013, réagissant au texte publié dans le n° 354, à propos d’une analyse du guide de la HAS sur les interventions éducatives et thérapeutiques à mettre en place chez les enfants et les adolescents atteints d’autisme.
Divers courriels, dont le vôtre, que nous avons reçus à propos de ce texte, ont fait l’objet d’une discussion lors d’une réunion de Rédaction. Ils nous incitent à revenir sur ce sujet dans un prochain texte avec des éléments de réponse plus précis dès que notre charge de travail, dépendant en premier lieu de l’impératif des Productions Prescrire, nous le permettra.
Merci de l’intérêt porté à Prescrire.
Cordialement
Anne AMERICH
Membre de la Rédaction
Correspondance avec les abonnés
Dont acte. Attendons la suite...
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Et la suite est arrivée. La voici. A en croire Prescrire, la HAS s'y est mal prise. Ben voyons!
Paris, le 28 novembre 2013
Monsieur,
Pour répondre sur le fond à votre interpellation à propos du texte "Autisme chez les enfants : un faux consensus" paru dans le numéro 354 de Prescrire page 305, il nous paraît utile de rappeler les objectifs et la méthode utilisée pour nos analyses de certaines productions de la Haute autorité de santé, dont le résultat est présenté dans la rubrique "Au crible" (1).
Au crible : pour repérer les guides utiles aux soins. L’intérêt d’un guide de pratique clinique pour les patients et les soignants, quand il est de bonne qualité, est d’avoir fait le travail d'analyse et de mise en évidence des niveaux de preuves, sans que les soignants aient à refaire eux-mêmes la synthèse des données.
Mais, comme l’ont mis en évidence les résultats d’une étude étatsunienne, et comme nous le constatons aussi depuis que nous effectuons ces analyses, de nombreux guides, de toutes origines, ne sont pas élaborés de manière fiable (2,3).
Depuis 2007, dans la rubrique "Au crible", Prescrire analyse des guides de la Haute autorité de santé (HAS) visant à améliorer les pratiques. Il s’agit de distinguer les guides de qualité des guides dont la méthodologie est insuffisante. Les guides utiles sont ceux qui répondent à des critères de qualité reconnus et qui examinent, puis discutent de façon pertinente, la balance bénéfices-risques des interventions recommandées et leur applicabilité (4à6). Au cours de cette analyse, nous repérons parfois des recommandations singulières dont la balance bénéfices-risques est défavorable.
Une analyse méthodique. Prescrire ne passe au crible que les guides "complets" qui contiennent un document "Argumentaire", des "Recommandations" et une "Synthèse des Recommandations". Notre analyse porte sur ces 3 documents.
Nous analysons ces guides d'une manière méthodique à l’aide d'une grille de lecture critique systématique dérivée de la "Grille d’évaluation de la qualité des Recommandations pour la pratique clinique" reconnue internationalement, y compris par la HAS, dite grille Agree (de l’anglais Appraisal of guidelines for research and evaluation instrument). Cette démarche nous conduit à analyser : l’objectif global du guide ; les questions cliniques abordées ; les groupes de patients cibles ; la participation des groupes concernés ;la recherche et la synthèse des preuves scientifiques ; l’actualisation ;la méthode définie pour formuler les recommandations ; la clarté et la présentation ; l’applicabilité en termes d’organisation, de changement d’attitude et de coûts ; ainsi que l’indépendance et l’identification de possibles conflits d’intérêts.
Chaque étape de notre démarche, de l’analyse au projet rédactionnel, est collective.
Analyse la qualité du guide HAS, et non de la prise en charge de l’autisme. Dans la rubrique "Au crible", nous nous prononçons sur la qualité méthodologique du guide de pratique clinique de la HAS analysé. Notre objectif est d’informer les abonnés sur l’intérêt de s’y référer ou pas. Nous ne prétendons pas avoir réalisé une synthèse sur la prise en charge de l’autisme chez les enfants. Faute de ce travail de fond, Prescrire ne prend position ni pour ni contre telle ou telle méthode de prise en charge. Nous proposons aux abonnés une analyse méthodique visant à leur conseiller ou déconseiller de prendre le temps de lire le guide analysé, en fondant notre conclusion sur l’analyse de sa méthode d’élaboration.
Si nous avions réalisé une synthèse des données d’évaluation des prises en charge de l’autisme et cherché à cerner leur balance bénéfices-risques, nous l’aurions publiée dans la rubrique "Stratégie", comme nous l’avons fait pour l’évaluation du dépistage du cancer du sein, à laquelle vous faîtes référence.
L'analyse de Prescrire du guide autisme chez les enfants et les adolescents. Notre évaluation de ce guide a conduit à un jugement positif pour la définition de l’objectif et des patients concernés, mais pas pour les autres éléments analysés.
L'analyse documentaire a conduit la HAS à retenir 512 références. Ces publications internationales sont extrêmement différentes, nuancées voire contradictoires. Cela n’a rien d’étonnant pour un trouble aussi complexe et polymorphe qu'est l'autisme. Un grand nombre d'entre elles sont présentées dans l'"Argumentaire" de 471 pages. Selon ce riche document, les données d’évaluation ne permettent pas de mettre en avant un type de prise en charge plus qu’un autre. Les pratiques sont multiples ; leur évaluation est de faible niveau de preuves (7).
Aussi avons-nous été étonnés de ne pas retrouver cette grande diversité de points de vue et de pratiques, dans le document "Recommandations" (de 60 pages) qui est rédigé avec peu de nuances, et ne laisse guère de place aux incertitudes (8). Cela explique probablement en partie l'absence d'accord au sein des groupes et le refus de nombreux participants d’endosser tout ou partie des recommandations. Ce choix n’aide pas les professionnels non spécialistes, peu informés des incertitudes, des contradictions, voire des conflits, qui existent au sein même des groupes de professionnels spécialisés dans les soins aux enfants autistes.
En pratique : Prescrire déconseille la lecture du guide, et non un type de prise en charge. En toute rigueur intellectuelle, en toute transparence, ce guide de la HAS aurait dû présenter les différentes options de soins aux enfants autistes. À partir des données de l’"Argumentaire", le document court "Recommandations" aurait dû comporter une information objective sur les différentes possibilités de traitements, sur leurs limites, sur le niveau de preuves souvent très faible, de leur évaluation, sur les incertitudes souvent importantes qui entourent leur balance bénéfices-risques.
Il n’est pas recevable qu’un guide labellisé par la HAS ne retienne qu'une seule approche thérapeutique, sans mention d'une ou de plusieurs autres, et présente comme solides des propositions thérapeutiques qui ne le sont pas.
Prescrire n'a pas de parti pris. En revanche, Prescrire a des méthodes de travail transparentes et pour objectif d’aider les soignants dans leur pratique en leur fournissant des éléments pour se faire aussi un avis sur certains guides de pratiques cliniques.
Votre courrier, suivi de notre réponse, a été publié dans le numéro 362 dePrescrire.
Cordialement,
Cécile POILPRÉ
Responsable de la rubrique Prescrire en Questions
Références
1- Prescrire Rédaction "Autisme chez les enfants et les adolescents : un faux consensus" Rev Prescrire 2013 ; 33 (354) : 305.
2- Prescrire Rédaction "Trop de guides peu fiables" Rev Prescrire 2013 ; 33(353) : 215.
3- Prescrire Rédaction "Le point après 2 ans d’analyse des guides de pratique clinique de la Haute autorité de santé" Rev Prescrire 2010 ; 30 (322) : 614-615.
4- Prescrire Rédaction "Guides de pratique clinique : faire le tri, et savoir jeter"Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 304.
5- Prescrire Rédaction "Les guides de pratique clinique examinés et triés par la revue Prescrire" Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 305-306.
6- Prescrire Rédaction "Juger les guides de la HAS dans leur globalité" Rev Prescrire 2008 ; 28 (299) : 706.
7- Haute autorité de santé "Autisme et autres troubles envahissants du comportement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Argumentaire scientifique" Mars 2012 : 471 pages.
8- Haute autorité de santé "Autisme et autres troubles envahissants du comportement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Recommandations" Mars 2012 : 60 pages.
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